J.K. Rowling fait cette chose, quand sa tête s'enfonce d'un ou deux centimètres entre ses épaules et ses mains éloignent l'air devant elle comme si elle repoussait l'agonie de l'air lui-même. Et c'est ce qui arrive quand on lui demande ce qu'elle pense de son nouveau livre, "Harry Potter et l'Ordre du Phénix". « En ce moment, j'en suis au point où on ne voit que les fautes. », dit-elle, ses mains parlant avec sa voix. « J'ai téléphoné à ma sour et je lui ai dit : "Le livre est épouvantable, c'est tout simplement épouvantable !" Elle s'est contentée de rire. Je lui ai dit : "Ce n'est pas drôle. Ce n'est pas drôle que le livre soit épouvantable. " Et elle m'a répondu: "Tu as dit ça pour chaque livre." « Mais cette fois-ci c'est vrai. C'est épouvantable. » « Ouais, tu as aussi dit ça à chaque livre. » Donc elle ne m'a été d'aucune aide. Nous ne voulons pas provoquer une dispute dès le premier paragraphe mais nous sommes de l'avis de la sour sans hésitation à ce sujet.
D'un autre côté, qui ne se sous-estimerait pas si ses quatre premiers romans sur le garçon sorcier le plus connu du monde s'étaient vendus à plus de 190 millions d'exemplaires à travers le monde en huit ans, et avaient été traduits en 55 langues ? Le dernier-né de la saga, "Harry Potter et la Coupe de Feu", s'est écoulé à 3 millions d'exemplaires le premier week-end de sa sortie en 2000, devenant le livre le plus rapidement vendu de l'histoire. Le seul livre qui a de bonnes chances de battre le record est "Harry Potter et l'Ordre du Phénix". Amazon.com affichait plus d'un million de pré-commandes, et entre vendredi dernier à minuit, quand le livre a été mis en vente, et lundi, Barnes & Noble prévoyait de vendre 1 million d'exemplaires.

Quand les livres ont été mis en vente samedi à 00h01, les librairies ont réouvert devant des milliers de Harry costumés ou simplement des enfants en pyjama qui ne pouvait attendre une minute de plus pour leurs livres. Ces scènes dans les libraires rappelaient celles de la folie de minuit pour « La Coupe de Feu » en 2000, mais beaucoup des célébrations de cette année étaient beaucoup plus élaborées. Le Magic Tree Bookstore à Oak Park, Illinois, a parlé de transformer tout un quartier commercial de la ville en Chemin de Traverse, la rue des sorciers. Des milliers de personnes sont venus y assister, dont Bonnie et Van Smith et leur fille de 14 ans, Bridget, qui sont venus par tous les moyens de Mountain Home, Arkansas. Bridget a dit qu'elle avait lu chacun des 4 romans précédents 11 fois, et prévoyait de lire le nouveau livre à ses parents sur le chemin du retour « si je ne le finis pas ce soir ». Sur Times Square, à New-York, les gens ont fait la queue autour du bâtiment de Toys "R" Us pour avoir un livre, dont Courtney Sadowsky, 28 ans, venant de Howell, New Jersey, qui disait : « J'ai déjà lu le premier livre Harry Potter à ma fille qui a 7 mois ». Elle à l'intention de faire la même chose avec le reste de la série. Debout dans une queue autour d'un bâtiment pour acheter un livre à 2 heures de matin, ce n'est pas l'idée que tout le monde se fait d'un temps bien employé. Ecoutez donc ça à propos de Books & Books à Miami : si vous réserviez un livre, vous étiez livré le samedi à l'aube.

La semaine avant que "Harry Potter et l'Ordre du Phénix" soit mis en vente était, si c'est possible, encore plus frénétique. Se soumettant aux voux de Rowling, ses éditeurs Britannique et Américain ont fait de leur mieux pour garder le livre enfermé jusqu'à la date de sortie, de façon à ce qu'aucun enfant, et certainement aucun critique, n'ait une copie en avance sur quiconque. Les bénéfices immédiats de cette politique furent les paris anglais, qui portaient de façon bizarre sur quel personnage allait mourir dans le nouveau livre, avec Hagrid, le garde-chasse, favori à 7 contre 2, suivi de Sirius Black à 4 contre 1 et les professeurs McGonagall et Dumbledore à 5 contre 1. Tout au long de la semaine, des acheteurs chanceux continuaient à trouver des livres qui avaient mystérieusement atterris sur les étagères de magasins - dans un Wal-Mart au Canada, dans un magasin de nourriture bio à Brooklyn (le nôtre venait d'une librairie publique). Scholastic, qui a dépensé plus de 3 millions de dollars pour la promotion du nouveau livre, était tellement inflexible sur le fait de ne rien révéler sur le contenu à quiconque avant la date de lancement, que la National Braille Press a dit ne pas pouvoir accéder au manuscrit avant le week-end pour faire la version braille. Très peu d'auteurs bénéficient de ce type de soutien de la part de leurs éditeurs. Mais avec le domaine de l'édition en crise depuis 2 ans (même Scholastic à licencié 4% de son effectif récemment), quel éditeur ne se réjouirait pas d'avoir la créatrice de Harry Potter dans ses rangs ?

Non pas que Rowling soit une diva. Elle n'aime d'ailleurs pas se plaindre. Sa vie, elle veut qu'on le sache, est bien au-delà de « bien ». « Seul quelqu'un qui a été aussi fauché que je l'étais pourrait comprendre à quel point je suis heureuse. Je me réjouis chaque jour de ne pas avoir à m'inquiéter de l'argent. » L'auteur de 37 ans a un nouveau mari, Dr Neil Murray, un médecin généraliste qu'elle a rencontré par des amis communs et auquel elle s'est mariée le jour après Noël, en 2001. Ils ont un nouvel enfant, David Gordon Rowling Murray, né en mars. Et elle va être guest-star dans « Les Simpsons » l'automne prochain. Il y a 3 ans la Reine d'Angleterre a nommé Rowling Officier de l'Ordre de l'Empire Britannique (en parlant de la reine, Rowling est signalée comme la plus riche des deux, bien qu'elle nie peser autant que les 468 millions de dollars qu'on lui attribue). Quand elle a donné à NEWSWEEK une de ses rares interviews chez elle à Edimbourg (il y a une autre maison dans la campagne écossaise et une autre à Londres), elle ne s'est comportée comme une célébrité qu'une seule fois : elle nous a fait attendre. Mais c'était pour nourrir le bébé et le coucher pour la sieste.

La nouvelle adresse de la vraie Cendrillon - la mère célibataire qui neuf ans auparavant griffonnait toujours dans un café d'Edimbourg pendant que son bébé dormait -est une vieille maison Victorienne en pierre à deux étages avec quelques hortensias fanées. Elle se trouve dans un voisinage bourgeois bien entretenu, plein de docteurs, d'avocats et de politiciens mais ce n'est pas, comme Rowling le remarque, le quartier le plus chic de la ville. Il y a un bureau isolé dans la propriété où deux assistants s'occupent des milliers de mails qu'elle reçoit par semaine. Rowling répond elle-même aux lettre au moins un jour par semaine. Il n'y a pas d'extraordinaires voitures dans l'allée, à moins que l'on compte la Mini Cooper de son mari (ce qui n'est pas très utile pour Rowling : elle ne sait pas conduire). Sa fille, Jessica, de son premier mariage est toujours à l'école publique. La seule preuve que vous êtes dans une demeure riche et célèbre est le cadenas sur le portail. Butch, le Jack Russel, est bien trop gentil pour effrayer les intrus.

Quand Rowling réussi à faire sortir David de son sommeil et va se promener à travers l'allée de gravier qui mène à son bureau, elle semble plus grande avec son jeans et sa chemise rouge et elle ne semble pas préoccupée. Mais quand elle s'assoit et commence à parler, elle répond expressivement avec un talent de conteuse pour les détails et la narration.

Tout de suite, on ne peut s'empêcher de demander si la notoriété n'a pas un prix : n'est-il pas de plus en difficile de sortir, juste pour faire une promenade ? « Non, non », répond-elle lentement, d'une voix posée. « Je peux affirmer sans mentir qu'il n'y a aucun endroit où j'évite d'aller ». Mais là, ses mains se mettent à s'agiter sur la table. « Bon, ce n'est pas tout à fait exact. Il y a un endroit que j'évite : je n'écris plus dans les cafés, je ne peux plus le faire. Et je sais déjà que les gens vont dire : « Ça va, le prix à payer n'est pas très élevé ». Mais c'est une vraie privation pour moi, car c'est comme ça que je travaillais le mieux. De temps en temps, de manière très occasionnelle, je prends mon cahier et je vais écrire dans des endroits jamais listés en tant qu'endroits où j'écrivais avant. L'an dernier je me suis crue très maligne : je suis allée au café de la National Gallery Portrait en me disant : « Personne ne me remarquera, ils seront trop intéressés par ce qu'ils viennent de voir ». Deux jours plus tard, l'Edinburgh Evening News titrait : « J.K. Rowling vue en train d'écrire à la National Portrait Gallery. S'agit-il du cinquième tome ? » Oui, c'était le cinquième tome, mais maintenant je ne peux plus aller écrire là-bas, pauvres types. » Et voilà qui conclut la partie geignarde de l'interview.

Les quatre premiers livres de Rowling sont sortis l'un près l'autre avec à peine un an d'intervalle. Le temps que le quatrième paraisse, la tension due à ce rythme commençait à se faire sentir. La Coupe de Feu se lisait d'un trait, comme une scène d'action de 734 pages, mais l'écriture était moins soignée qu'auparavant. Au contraire, L'Ordre du Phénix n'échappe jamais au contrôle de l'auteure. Elle raconte l'histoire avec son talent habituel pour entretenir le rythme et les surprises. Tout ce que nous tenions pour acquis, à commencer par la puissance absolue de Dumbledore, le directeur de Harry à Poudlard, est remis en question. Et cela rend les choses encore plus terrifiantes, à la fois pour Harry et pour le lecteur, alors que le diabolique Lord Voldemort consolide son pouvoir, infectant même le ministère avec ses noirs desseins.

Phénix est le livre où l'atmosphère est la plus présente. Et comme, apparemment, il y a des châteaux à tous les coins de rue à Edimbourg, on peut se demander à quel point Rowling s'est inspirée de son environnement. Pas le moins du monde, assure-t-elle. « Je pourrais vivre n'importe où et écrire la même chose mot pour mot. Mais je pense vraiment que le fait d'être britannique est très important, à cause de notre folklore si varié, si composite. Ça m'intéressait et j'ai réuni des informations à ce propos. Et alors j'ai eu l'idée de Harry. »

Rowling ne s'excuse pas d'avoir fait attendre ses lecteurs si longtemps. « Je voulais voir ce que ça faisait d'écrire sans la pression de la date limite. Et c'était merveilleux. Depuis L'Ecole des Sorciers [son premier livre], j'écrivais de manière intense. Pour La Coupe, je faisais dix heures par jour. Et c'était idiot. Parce que j'ai une fille, et que je voulais la voir avant qu'elle ait dix-huit ans, qu'elle quitte la maison et qu'elle ne me parle plus jamais. » Ces heures supplémentaires ont payé, sous la forme d'une chronique extrêmement longue, mais jamais pompeuse, dont chaque page est une preuve de l'étonnante inventivité de Rowling. La meilleure nouveauté ? Une plume que Harry doit utiliser en retenue. Quand il écrit « Je ne dois pas dire de mensonges », les mots se gravent sur le dos de sa main. Phénix est le meilleur livre de la série. À quel point il est bon ? J'ai jeté un coup d'oil à la fin pour voir comment ça finissait. Allez-y, huez-moi. J'ai aussi regardé la fin de Bleak House [Dickens], et seul un livre vraiment bon peut vous faire faire ça.

Oui, un personnage important meurt, mais je ne vais pas révéler la fin ici. Au lieu d'un spoil, arrêtons-nous sur un message de l'auteure : « Je sais qu'un certain nombre de fans seront furieux contre moi à la fin du livre. Je leur présente mes excuses. Mais il fallait que ce soit ainsi. Et je suis désolée, parce que je sais ce que c'est de perdre une personne - autre qu'un personnage de fiction - à laquelle on était très attachée. » Et oui, l'intrigue s'assombrit dans Phénix ; Rowling pense d'ailleurs que c'est tellement évident que ça ne vaut même pas la peine de le mentionner. « Ça m'étonne beaucoup que les gens soient surpris de la tournure plus sombre que prennent les événements, parce que le premier livre commençait avec un meurtre. Et même si le meurtre n'a pas lieu sous nos yeux, pour moi ça annonçait que ce genre de choses continuerait d'arriver. Mais elle sait que de très jeunes enfants vont vouloir lire ces livres, et qu'ils seront perturbés : « J'ai toujours été un peu mal à l'aise quand on me disait qu'on avait commencé à lire mes livres à des enfants de six ans, parce que je savais ce qui allait arriver ensuite. Et je dois dire que même le premier livre a une fin effrayante ».

Sans doute que le plus grande surprise, dans "le phénix", est que Harry, qui a maintenant 15 ans, devient lunatique et se comporte comme un adolescent incompris. « J'ai toujours dit que je voulais qu'Harry grandisse comme un enfant normal, ce qui veux dire avec ces pulsions hormonales, et donc beaucoup de colère. Harry est très fâché dans le livre 5, mais je pense que c'est vraiment justifié, vu ce qu'il traverse. C'est un moment où il devient furieux à propos de la manière dont la vie le traite. » Mais n'est-ce pas inapproprié pour un enfant de 9 ans de lire ce genre de chose ? « Je ne pense pas. Ils en auront 14 eux-mêmes. Ce n'est pas un tord de savoir ce que l'on va ressentir à 14 ans. Ma fille à 9 ans, et je sais qu'elle peut s'en sortir avec le livre 5 parce que je l'ai préparée à ce moment. Elle est débrouillarde. » Elle commence aussi, à la consternation de sa mère, à imposer des points de l'intrigue. « Elle m'a dit, sans équivoque, qui je ne dois pas tuer. Alors, je lui ai dit « Et bien, je sais déjà qui je vais tuer, alors maintenant il n'est plus temps de venir me voir et de me dire que je ne dois pas tuer X, Y ou Z, car leurs sorts sont déjà joué. » Et elle n'aime pas du tout entendre ça, pas du tout.

Peu d'auteurs sont aussi passionnément protecteurs vis à vis de leur oeuvre que Rowling, et c'est marrant de l'entendre mettre une subtile, mais très diplomatique distance entre son travail et les deux films qui en sont tirés. Elle aime bien l'allure des films : « Chris Columbus [réalisateur des 2 premiers films] était avide de savoir exactement ce que je voyais en terme de plateau de tournage plus particulièrement. Et quand j'ai marché dans la Grande Salle de Poudlard qui a été construite dans un studio à l'extérieur de Londres, c'était exactement comme si je marchais à l'intérieur de ma propre tête. » Elle était dingue des scènes de Quidditch : « Le Quidditch était vraiment au dessus de mes espérances. C'était phénoménal » Et elle adore Alfonso Cuaron, qui a dirigé le 3ème volet, « Harry Potter et le prisonnier d'Askaban ». Rowling a signalé qu'une des raisons pour lesquelles elle a vendu ses droits a Warner Bros, était qu'il avait fait un tellement bon travail avec « little princess ». Mais tout cela représente trop d'effusion pour un seul jour, parce que elle rajoute juste après : « Evidement, je préfère les livres. Je suis l'écrivain. C'est ce que je serai toujours. Ce qui se passe avec les films, c'est que tout le monde voit la même chose, et c'est pour ça qu'il sera toujours de qualité inférieure vis-à-vis des livres. Les lecteurs doivent travailler avec moi pour créer un nouveau Poudlard à chaque fois que le livre est lu. »

Quand nous en sommes venus au merchandising autour d'Harry Potter, cependant - les figurines, les robes et les balais vibrants - Rowling s'est montrée claire, elle n'a jamais eu l'intention d'écrire « Harry Potter et le Chambre du Commerce ». Elle admet qu'il y a certains moments « où j'ai regretté d'avoir vendu les droits des films. Juste à certains moments. » Alors que Warner Bros, lui donnait beaucoup de chose à dire sur la manière dont l'histoire serait développée pour le film, « la seule chose sur laquelle je n'avais aucun pouvoir était le merchandising. Et je l'aurais fait si j'avais pu, mais il faut rester réaliste à ce niveau. Ce sont des films qui coûtent très, très cher à réaliser. Et aucun producteur au monde n'est capable de le faire fidèlement au livre et sans merchandising, parce qu'ils ont besoin que l'argent rentre à un moment ou à un autre. »

Bien sur, il est difficile d'imaginer que personne dans l'univers de Potter ne pense à l'argent. Quand on lui demande d'expliquer la popularité de ses livres, elle dit sagement qu'elle n'a pas de clé et conseille de demander à ses lecteurs. Mais, elle sait certainement qui elle est et ce qu'elle veut pour sa vie. Vers la fin de l'interview, son visage reprend son air préoccupé, ses réponses diminuent vers un simple oui ou non. Mais quand son mari apporte leur bébé dans le bureau pour une visite, elle redevient normale. En la regardant faire un câlin à son nouveau né, vous vous souvenez de ce qu'elle avait dit quand je lui avait demandé s'il y avait des parallèles entre avoir un bébé et produire un livre. « Oui, il y a des parallèles » avait-elle répondu. « La différence est juste que quand je regarde David, je pense qu'il est vraiment parfait, alors que quand vous avez fini un livre, vous pensez, 'Ho mon dieu, j'aurais du changer ça.' Vous n'êtes jamais heureux. Alors qu'avec un bébé, vous êtes heureux. Si vous avez un bébé parfait, vous êtes tout simplement reconnaissant. » Ceux d'entre nous qui sont sous le sortilège magique d'Harry Potter sont plus réticents à critiquer les créations littéraires de Rowling. Mais nous savons tous être reconnaissant.

Avec Jac Chebatoris, Nayelli Gonzalez et Andrew Phillips à New York et Karen Springen à Chicago

©2003 Newsweek, Inc.



Interview traduit par Nikopol54, Marjo, Hedwige et Pattenrond8.
Version originale en anglais disponible sur le site de Quick Quote Quill.

 

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